L'amour du jeu de mot foireux mène parfois à un titre peut-être un peu trop prometteur. "Trop" car cet article ne répondra pas vraiment à la question posée. Enfin si, mais à travers un cas particulier. Il s'agit de Dustforce, un plateformer dans le genre Super Meat Boy où un mec progresse dans des niveaux en jouant les techniciens de surface. Ce jeu, je ne l'ai pas choisi puisque ce sont les développeurs eux-mêmes (Hitbox Team) qui ont décidé de dévoiler sur leur site tous les chiffres qui me seront utiles pour cet article. Et ce qui est vraiment pas mal avec ces chiffres justement, c'est qu'ils peuvent s'appliquer au monde du jeu indépendant en général. Pourquoi ? Car Dustforce n'est ni un énorme carton, ni un flop. C'est un jeu indé qui a connu un certain succès, c'est vrai, mais qui reste assez représentatif de ce marché. Donc si comme moi (et Jean-Pierre Pernaut) vous vous posiez tout un tas de questions du genre : combien ça coûte ? Est-ce difficile d'être rentable quand on est indépendant ? Est-ce que Steam c'est cool ? Ça gagne bien développeur indépendant? Il se pourrait bien que vous trouviez les réponses à ces questions dans l'amas de mots qui va suivre.
Les 4 éléments : L'eau, la bouffe, l'internet et le toit
Ce sont en effet les quatre sources de dépense que les développeurs de DustForce ont défini. En gros, le but est d'évaluer combien va coûter le jeu si on se contente de vivre avec le minimum syndical. Cela inclut donc le loyer, les coquillettes le midi, la flotte, les éventuels voyages pour présenter le jeu et internet. Pour ce qui est de ce projet, nos quatre aventuriers sont partis avec 100 000$ dans leur tirelire. Avec ça, ils ont un an et demi devant eux pour pondre quelque chose s'approchant le plus possible d'un jeu vidéo. Mais gaffe à ne pas se retrouver à sec à la fin puisque d'une part le jeu peut se planter lamentablement et d'autre part, il faut parfois attendre 90 jours avant de recevoir les premiers paiements. Il est donc préférable d'en avoir encore sous le coude une fois arrivé en bout de course. Tout cela s'appliquant bien sûr à une structure basée sur le schéma : bonshommes + bite + couteau = jeu.
Le chemin vers la gloire ou le chemin vers Magloire ?
Car c'est bien ce qui intéresse les développeurs lorsque arrive le moment de lancer le jeu. Va-t-il marcher ? Combien doit-il nous rapporter pour que l'on puisse continuer ? Pour Dustforce, on part des 100 000 $ nécessaires pour faire le jeu, auquel on ajoute l'argent pour le prochain projet et ce qu'il faut pour avoir l'air moins pauvre qu'avant. On arrive donc à une fourchette entre 300 000$ et 400 000$. C'est ce que les ventes doivent absolument rapporter pour que le projet soit viable et que le studio puisse continuer à bosser. Une somme à la fois dérisoire comparée aux AAA, mais relativement importante pour une petite production de ce genre. Est-ce donc jouable ? Sortez vos calculettes, on va voir ça. Pour ceux qui ont, la flemme, faite comme à l'école, attendez que vos camarades se cassent le cul à le faire. Ca revient au même au final.
T'as un problème ?
Un studio indépendant veut développer un jeu qui sera vendu au final 10$. Il doit atteindre un revenu de 400 000$ sur ce premier jeu pour être rentable. Le problème, c'est qu'une fois la commission de Steam et les diverses taxes déduites, il ne leur restera que 64% de cette somme au final. Sachant que le premier jour, le jeu s'est vendu à 4596 exemplaires, puis 1000 exemplaires par jour pendant 7 jours et qu'ensuite il stagneront à environ 50 copies par jour, répondez aux questions suivantes.
1 - En partant des données qui vous sont fournies, au bout de combien de siècles le jeu atteindra-t-il les chiffres de ventes de Minecraft ?
2 - Ils sont pas un peu dans la merde les gars là ?
3 - Citez au moins trois métiers (hors activités punies par la loi) qui semblent, à première vu, plus rentable que développeur indépendant.
Le problème ci-dessus est intéressant car il évoque quelque chose de très difficile à trouver sur le web : les chiffres de ventes des jeux en dématérialisé. Prenons VGChartz par exemple, et bien il n'est question que des titres vendus en boite. Difficile donc de se faire une idée précise du cycle de vie d'un jeu indépendant et surtout à quel point des plate-formes comme Steam ou des mises en avant par le biais d'un Humble Bundle peuvent changer la donne. On observe donc ici qu'au bout de même pas un mois, les ventes chutent brutalement pour atteindre une vitesse de croisière de 30-50 copies par jour, puis seulement une dizaine au bout de quelques semaines. A ce rythme, inutile de vous dire que les 400 000$ sont loin, très loin. Pour autant, le jeu a bel et bien été amorti en l'espace d'un mois. C'est-à-dire qu'à ce moment-là, ils n'ont rien perdu, rien gagné. Perdu du temps, de l'énergie, oui, mais pas d'argent. Mais cela ne suffira pas à mettre sur les rails un nouveaux jeu ou même à s'octroyer un quelconque salaire.
Et Steam de soi
A première vue, on peut se dire que Steam, ça sent la pompe à fric. Les développeurs y vont parce que c'est un peu le service PC qui pète tout, mais entre les promo à -97% et la commission que Valve prend, on ne s'imagine pas forcément l'impact positif qu'a le géant sur les ventes d'un titre comme Dustforce. C'est ce que nous dévoile le studio. Car il a suffit d'une promotion de 50% (midweek madness) pour qu'en l'espace de trois jours le jeu rapporte près de 100 000$. Une somme que le studio aurait certainement mis des mois à rassembler sans cette mise en avant. En revanche, ce genre d'offre n'a aucun impact significatif sur les ventes à long terme. C'est bon à savoir. Toujours à propos de Steam, je vous conseille d'aller jeter un coup d'oeil à cet autre article retraçant le parcours d'un jeu indé qui, lui, s'est fait refouler à l'entrée. C'est tout de suite un peu différent. Bien sûr qu'être sur Steam n'est pas synonyme de "carton assuré", tout comme ne pas y être ne veut pas dire que l'on va forcément se viander (Minecraft en est le parfait exemple), mais cela reste "the place to be" comme disent les gens cools.
Deux semaines, 50 000 ventes, restons Humble
On ne dirait pas vu de l'extérieur, mais il y a encore plus bourrin qu'une promo Steam pour faire péter les highscore : un Hunble Bundle. Il suffit de regarder deux secondes le graphique pour se rendre compte de l'impact de ce truc. Un impact qui en plus de rapporter gros en peu de temps, donne un coup de fouet aux ventes sur Steam. D'une dizaine d'acheteurs par jour, Dustforce est passé à une cinquantaine uniquement grâce au Humble Bundle. Un effet que n'a pas eu la promo Steam.
Pour chaque copie de Dustforce vendue 10$, 4.41$ terminent dans nos poches.
Résultat des courses, trois mises en avant Steam et quelques semaines plus tard, voilà que la cagnotte s'élève à presque 668,490$. Auquel on retire 37% (commission Steam, taxes...) pour arriver à 489,404$. L'objectif est donc largement atteint. Enfin "largement"... Disons qu'il faut se rappeler du tout début de l'article : ici les loyers, les voyages, la bouffe et autres joyeusetés de ce genre n'ont toujours pas été déduit. L'ultime somme est en fait bien moindre : 295 000$. On peut d'ailleurs déjà partir du principe que les développeurs vont remettre au minimum 100 000$ sur la table pour un prochain jeu. Nous arrivons à 195 000$, que l'on divise en quatre (4 membres) et on obtient : 48 750$. Enfin, pour démontrer une dernière chose, on peut répartir cette somme sur les deux ans de travail. On arrive alors à 2031 $ par mois (1553 euros). Une rémunération que l'on peut qualifier de modeste et qui répond à la dernière question de l'intro. La boucle est donc bouclée et je vais en faire même. Vous trouverez ci-joint une animation issue du prochain jeu de Hitbox Team. Cordialement. Virgile.